Cette Conversation a Ă©tĂ© enregistrĂ©e en public le vendredi 6 mai 2022 Ă la Goguette sur le thĂšme « Dynamiques de biodiversitĂ© et habitats dans le Puy-de-DĂŽme » avec la participation de Pierre Mossant, directeur du Conservatoire d’Espaces Naturels [CEN] Auvergne, et de Charles-Etienne Dupont, gestionnaire forestier chez Cagefor.

Retrouvez sur cette page :
- L’enregistrement audio intĂ©gral (podcast)
- La synthĂšse de la Conversation
- Les données présentées en introduction
- Des liens et contenus complémentaires
Photo : Julie Verguin, la Goguette
Le podcast
La synthĂšse de la Conversation
Les intervenants
Charles-Etienne Dupont est gestionnaire forestier professionnel depuis 2014 â il a créé son cabinet Cagefor en 2003. Son mĂ©tier, correspondant Ă un statut dĂ©livrĂ© par la prĂ©fecture, consiste Ă sâoccuper des forĂȘts des propriĂ©taires privĂ©s, soit 80 % de la couverture forestiĂšre en France.
Pierre Mossant est le directeur du Conservatoire dâEspaces Naturels [CEN] Auvergne, basĂ© prĂšs de Riom. Association dâune quarantaine de salariĂ©s et de 450 adhĂ©rents, membre du rĂ©seau national des CEN, lâantenne auvergnate Ćuvre Ă prĂ©server la biodiversitĂ© sur le Puy-de-DĂŽme, le Cantal et lâAllier. Son action passe par lâachat de parcelles et lâaccompagnement de propriĂ©taires privĂ©s, par la collaboration avec les collectitivitĂ©s, et par la formation et la sensibilisation du grand public et des professionnels.
ĂlĂ©ments de contexte
Voir le fichier téléchargeable et la vidéo ci-dessous pour accéder aux visuels
- DĂ©finition de la biodiversitĂ© : lâensemble des ĂȘtres vivants, les Ă©cosystĂšmes dans lesquels ils vivent, et leurs interactions â entre les ĂȘtres et avec les Ă©cosystĂšmes (Office Français de la BiodiversitĂ©)
- Les Ă©cosystĂšmes, ou « habitats », intĂšgrent des milieux « naturels » comme des milieux urbains ou agricoles â tous les milieux Ă©tant « anthropisĂ©s » dâune maniĂšre ou dâune autre (impactĂ©s par lâhomme)
- Combien dâespĂšces ? Entre 8 et 15 millions dans le monde, hors bactĂ©ries. Ce sont des estimations, la majoritĂ© nâayant pas Ă©tĂ© dĂ©couverte. La trĂšs grande majoritĂ© sont des insectes, les vertĂ©brĂ©s â dont les humains â sont trĂšs minoritaires. Pierre Mossant souligne par ailleurs quâil nây a presque plus de vertĂ©brĂ©s Ă dĂ©couvrir.
- Quel impact de lâhomme sur la biodiversitĂ© ? LâIPBES (le « GIEC de la biodiversitĂ© ») a identifiĂ© quatre principaux facteurs :
- destruction ou contamination des milieux naturels â dont la dĂ©forestation et lâartificialisation des sols
- exploitation Ă lâexcĂšs des ressources â dont la surpĂšche
- changement climatique
- introduction dâespĂšces exogĂšnes
- Y a-t-il un effondrement de la biodiversité ?
- 75 % des écosystÚmes dégradés en 2021
- 33 % des terres Ă©mergĂ©es utilisĂ©es par lâagriculture et lâĂ©levage
- 1 million dâespĂšces menacĂ©es dans le monde
- 68 % des vertébrés sauvages disparus depuis 1970
- ⊠un rythme de 100 Ă 1000 fois plus rapide que le rythme naturel, qui nous rapproche de celui dâune « extinction de masse »
- Comment agir ?
- La biodiversité aurait une inertie moins forte que le climat
- La protection (formes de rĂ©serve naturelle) peut fonctionner âŠ
- ⊠ainsi que lâinterdiction de certaines pratiques (chasse, pĂȘche, la reforestation, lâagro-Ă©cologie âŠ)
- LâIPBES conclut : « Nous avons dix ans pour agir »
La vie est-elle menacée ?
Pierre : non, la biodiversitĂ© nâest pas menacĂ©e au point de disparaĂźtre. Câest lâhumanitĂ©, qui en dĂ©pend fortement (agriculture, cadre de vie, cycle de lâeau), qui sera directement impactĂ©e. Câest lĂ le sujet des « services Ă©cosystĂ©miques »
Le changement climatique et la perte de biodiversitĂ© sont deux faces dâune mĂȘme piĂšce. Avec la dĂ©gradation de la biodiversitĂ©, les milieux naturels fonctionnent moins bien et rĂ©gulent moins le climat. En retour, lâĂ©volution du climat impacte nĂ©gativement la biodiversitĂ©.
En France, une politique de prĂ©servation de la biodiversitĂ© a Ă©tĂ© mise en place il y a longtemps, et notre climat tempĂ©rĂ© nous est favorable. En Auvergne, dans le Puy-de-DĂŽme, cette perte de biodiversitĂ© est donc moins spectaculaire que dans dâautres pays. Pour autant, les spĂ©cialistes observent de nombreux impacts.
Quel constat en milieu forestier ?
Charles : il y a trois types de forĂȘts :
- les forĂȘts anciennes, naturelles, trĂšs variĂ©es en biodiversitĂ© Ă forte rĂ©silience ;
- les forĂȘts plus rĂ©centes, avec intervention de lâhomme, mais en Ă©volution libre ;
- les forĂȘts plantĂ©es par lâhomme au XXĂšme siĂšcle (principalement pour la production de bois).
La monoproduction de bois ne suffit plus pour la pĂ©rennitĂ© dâune forĂȘt, il faut remettre de la naturalitĂ©. Le problĂšme est la temporalitĂ© : 10 ans pour faire Ă©voluer une forĂȘt est trop long âŠ
Quelle est la meilleure stratégie ?
Pierre : le meilleur service Ă rendre Ă la nature est de la laisser en paix. Nâoublions pas que la vie sâest toujours adaptĂ©e, depuis des milliards dâannĂ©es. Dans une forĂȘt Ă©quilibrĂ©e, les interactions entre les espĂšces sont nombreuses et la rĂ©silience est forte. Quand lâhomme agit sans rĂ©flĂ©chir, en plantant des espĂšces « anthropisĂ©es », cela a des consĂ©quences nĂ©gatives.
Je dirais quâon a fait le plus facile en prĂ©servation de la biodiversitĂ© : on a traitĂ© le plus « spectaculaire ». Par exemple pour les espĂšces emblĂ©matiques, la loutre, le faucon pĂšlerin, autrefois menacĂ©s, aujourdâhui en croissance. Mais il y a du « vivant diffus », moins visible, quâon doit absolument prĂ©server. Le problĂšme est que ce vivant est intĂ©grĂ© au maillage socio-Ă©conomique. Il faut donc que ce dernier diminue sa pression sur les Ă©cosystĂšmes : cela nĂ©cessite que tous les acteurs soient impliquĂ©s.
Charles : jâinterviens en forĂȘt, mais jâessaye dâĂȘtre le moins perturbateur possible. Ce nâest pas Ă©vident ! Car il faut aussi prĂ©lever du bois, raisonnablement, ce qui a forcĂ©ment un impact. Je veille donc, au final, Ă maintenir lâĂ©quilibre forestier tout en accĂ©dant aux fonctionnalitĂ©s recherchĂ©es.
Peut-on avoir un impact positif ?
Pierre : nous sommes dans des Ă©cosystĂšmes perturbĂ©s, et notre intervention est nĂ©cessaire pour les restaurer. Ensuite, il nous faut prĂ©lever pour nos besoins humains, mais de maniĂšre biosourcĂ©e, renouvelable et durable. Nâoublions pas que la nature nâa pas besoin de lâhomme, câest lâinverse ! Pour autant, la nature qui nous environne est complĂštement humanisĂ©e, depuis les premiers dĂ©frichages de nos ancĂȘtres gaulois. Les milieux naturels non humanisĂ©s nâexistent plus sur Terre, dâautant plus que les circulations atmosphĂ©riques diffusent des produits comme les aĂ©rosols partout.
Une zone protĂ©gĂ©e nâest pas non plus Ă lâabri des influences humaines. NĂ©anmoins, on peut travailler pour favoriser la libre Ă©volution dans ces secteurs. Le CEN Auvergne achĂšte ce genre de parcelles et les met en non-exploitation. En tant que « petits rĂ©servoirs de biodiversitĂ© », ils favoriseront cette derniĂšre, de par leurs interactions avec les autres milieux.
Charles : je ne suis pas favorable Ă une approche binaire : dâune part, des espaces « sous cloche », dâautre part, un champ dâarbres Ă exploiter. Heureusement, les zones Ă protĂ©ger ont Ă©tĂ© depuis longtemps identifiĂ©es. On a suffisamment, en France, de gisement de bois pour nos besoins. Il faut, pour cela, le gĂ©rer intelligemment. Cela va de lâaccompagnement Ă la « regradation » (inverse de la dĂ©gradation), une forme de rĂ©paration.
Comment évoluent les habitats dans le Puy-de-DÎme ?
Pierre : on constate une dĂ©gradation sur tous les milieux aquatiques, des cours dâeau des montagnes, par les zones humides, jusquâĂ lâAllier dans notre cas. Ces milieux sont trĂšs divers, et les plus impactĂ©s sont les « petites zones humides », tourbiĂšres, petits cours dâeau ⊠qui sâassĂšchent alors que cela nâavait jamais Ă©tĂ© vu.
Il y a un enjeu majeur Ă prĂ©server celles qui sont encore en place, et Ă restaurer celles qui ont Ă©tĂ© dĂ©gradĂ©es. Les services Ă©cosystĂ©miques rendus par les zones humides sont indispensables pour notre cycle de lâeau.
Autre milieu intĂ©ressant : les « cĂŽteaux secs », sur les bords des plateaux proches de Clermont comme Gergovie, Chanturgue ⊠avec des espĂšces mĂ©diterranĂ©ennes et des orchidĂ©es. CâĂ©tait des lieux de pĂąturage, abandonnĂ©es pour la plupart, qui ont un intĂ©rĂȘt particulier : ils seront la source de la vĂ©gĂ©tation de demain. En effet, le climat de Clermont Ă©volue vers celui de Montpellier. Ces cĂŽteaux secs faciliteront, demain, lâadaptation de la vĂ©gĂ©tation.
Comment prĂ©voir les Ă©volutions de biodiversitĂ© dans les forĂȘts ?
Charles : on est obligĂ©, dans mon mĂ©tier, de faire des paris. On constate des alĂ©as climatiques, par exemple on nâa que 20 % de ce qui est attendu en pluviomĂ©trie depuis le dĂ©but de lâannĂ©e. Cela est stressant pour la nature, mais aussi pour nous, gestionnaires de forĂȘts !
On va ainsi, parfois, contrecarrer ce dont a besoin la nature pour aller vers le type de climat prĂ©vu Ă moyen terme. Exemple pour la hĂȘtraie sapiniĂšre, bien adaptĂ©e Ă nos rĂ©gions Ă partir de 800 mĂštres. Dans cet habitat, des jeunes sapins poussent naturellement ⊠mais on sait quâils sont condamnĂ©s Ă Ă©chĂ©ance 30 ou 50 ans, Ă cause du changement climatique. Faut-il pour autant importer des pins sylvestres, mieux adaptĂ©s Ă lâavenir ? Ce sont des questions compliquĂ©es.
LâĂ©volution des vents dominants, de lâouest vers le sud-ouest, diminue aussi la rĂ©sistance et la rĂ©silience des forĂȘts.
Pierre : quand on doit se projeter dans une activitĂ© Ă©conomique, comme la production de bois dans un siĂšcle, câest particuliĂšrement compliquĂ©. Mais dâautres paramĂštres Ă©voluent Ă©galement : la biodiversitĂ©, câest aussi la diversitĂ© des individus au sein dâune mĂȘme espĂšce, la diversitĂ© gĂ©nĂ©tique en quelque sorte. Les hĂȘtres vont-ils tous dĂ©pĂ©rir ? Ou certains resteront-ils ? Je comprends les paris que doit faire Charles. La vitesse du changement climatique sera beaucoup trop rapide pour que la nature puisse sâadapter sans dommage.
Charles : la sylvogenĂšse, câest la tendance dâun espace naturel Ă devenir un espace forestier sâil est laissĂ© en libre Ă©volution. Or, on constate que plus la forĂȘt est ancienne, plus la diversitĂ© des interactions sâaffine et sâapprofondit. Câest quasiment de lâhorlogerie ! Si le systĂšme se dĂ©grade, le niveau dâĂ©volution sâabaisse. Le « climax », le maximum de lâĂ©volution, a tendance Ă baisser.
Le danger, câest lâabaissement de la diversitĂ©. Si on a des pins sylvestres partout, ce sera mieux adaptĂ© au climat de demain, mais on aura moins de diversitĂ©. Pensons aux Vosges, plantĂ©es majoritairement avec des Ă©picĂ©as : quand un insecte ravageur a prolifĂ©rĂ©, câĂ©tait sans frein, et tout le territoire a Ă©tĂ© impactĂ©.
Les acteurs du territoire ont-ils conscience de ces enjeux ?
Charles : Ă lâĂ©cole forestiĂšre, il y a 25 ans, on apprenait principalement ⊠à produire et exploiter du bois. Aujourdâhui, les formations sont plus axĂ©es sur les questions de durabilitĂ©, de patrimoine, de paysage. La vision est plus systĂ©mique.
A titre personnel, je passe beaucoup de temps Ă sensibiliser sur une approche « pro-forĂȘts ». Et je constate que des nouveaux clients viennent me voir pour ces aspects. Mais ça ne fait que deux ou trois ans !
Il y a aussi une association nationale, Prosilva, qui rassemble des professionnels et des propriĂ©taires qui veulent dĂ©velopper une approche durable et dâadaptation par la naturalitĂ©. De mĂȘme avec lâassociation de la « FĂ»taie IrrĂ©guliĂšre », plus pointue. Ils souhaitent prouver que cette approche est la meilleure, y compris sur le plan patrimonial. On est dans une phase de transition ⊠et il reste des gens encore dans une approche productiviste.
Pierre : au CEN, nous travaillons avec des Ă©lus et des collectivitĂ©s. Il y a un vrai Ă©cho ! A chaque Ă©lection, chaque renouvellement de personnel politique,on voit que les bonnes volontĂ©s Ă©mergent. Le problĂšme est plutĂŽt lâaccompagnement technique des collectivitĂ©s â plus que le financement. Les gens veulent agir, mais ne savent pas toujours comment.
Mais nous constatons aussi un intĂ©rĂȘt dans le monde de lâentreprise. Au-delĂ du greenwashing, il y a de vraies prises de conscience, de la part des clients, des collaborateurs â dont les enfants interpellent leurs parents ! Et bien sĂ»r, il y a les ambitions sociĂ©tales et environnementales de certaines compagnies.
Au niveau des agriculteurs, beaucoup dâentre eux se sont rendu compte que les seuls endroits oĂč le fourrage persistait, câĂ©tait dans les zones humides. De mĂȘme, lâexplosion du prix des engrais Ă cause de la guerre en Ukraine a fait prendre conscience de lâintĂ©rĂȘt dâutiliser au mieux les ressources naturelles du territoire, et la prĂ©servation des milieux pour valoriser les services Ă©cosystĂ©miques.
Donc on va dans le bon sens, mais sera-t-on assez rapide ? Ce qui se joue, câest notre confort, et surtout celui des deux gĂ©nĂ©rations qui viennent.
Pourquoi se focalise-t-on plus sur le climat, jusquâĂ prĂ©sent ?
Pierre : peut-ĂȘtre parce quâon en a parlĂ© en premier, quâon constate facilement les alĂ©as â comme les sĂ©cheresses â et quâun indicateur « intĂ©grateur » – la concentration de CO2 dans lâatmosphĂšre â a fait florĂšs.
Pour la biodiversitĂ©, câest lâinverse. Pas facile Ă comptabiliser pour le grand public, pas dâindicateur unique ⊠lâenjeu est nĂ©anmoins de montrer que les deux sont liĂ©s. Au sommet de lâIPBES de Marseille, le concept de « solutions fondĂ©es sur la nature » est Ă mon avis la bonne approche. Face aux dĂ©fis sociĂ©taux, il faut nous appuyer au maximum sur les Ă©cosystĂšmes naturels, en les prĂ©servant et en les restaurant.
Par exemple pour les prĂ©cipitations : nous aurons de plus en plus de problĂšme avec le cycle de lâeau. Deux solutions alors : une approche technologiques (barrages, bassines), une approche naturelle (restauration de zones humides, de cours dâeau). Cette derniĂšre est bien moins chĂšre, et apportera le plus de services. Faisons dĂ©jĂ cela, et ça ne nous empĂȘche pas de complĂ©ter â si besoin â par des bassines ou des rĂ©servoirs.
Quâest-ce que le biomimĂ©tisme ?
Charles : la nature peut ĂȘtre une source dâinspiration. Plus on lâobserve et on lâanalyse, plus on comprend la complexitĂ© et lâingĂ©niositĂ© de ses systĂšmes. On voit par exemple que tout se fait dans le sol ! Le stockage de lâeau y est millimĂ©trique, mais de masse. Le biomimĂ©tisme, câest sâinspirer de la nature pour trouver des solutions technologiques.
On peut aussi sâen inspirer pour des fonctionnements. La nature est sous-optimale, et mĂȘme peu performante. La photosynthĂšse, câest 2 % dâefficacitĂ© ! Alors quâen entreprise, on cherche toujours la performance maximale ⊠cela mobilise-t-il vraiment tous les salariĂ©s ? Pas sĂ»r.
Mais, pour reprendre les propos de Pierre, je suis optimiste moi aussi : au niveau de lâĂtat comme des collectivitĂ©s, les choses Ă©voluent dans le bon sens. Et les citoyens sont plus sensibilisĂ©s. LâĂ©cologie fait partie des prĂ©rogatives Ă©lectorales ! Parmi les entreprises, il y a des acteurs qui font aussi les choses avec sincĂ©ritĂ©.
Conclusion : une recommandation dâaction ?
Pierre : on a tous notre bulletin de vote et notre carte bancaire. Nos choix de consommation détermineront énormément de choses. Lisons les étiquettes de ce que nous achetons, prenons en compte la chaßne de valeur, et nous améliorerons notre impact.
Charles : au-delĂ de la prise de conscience, il faut passer Ă lâaction. Pour cela, on peut simplement se demander, pour un achat « en ai-je vraiment besoin ? A quelle Ă©chĂ©ance ? » MĂȘme sâil faut vivre bien sĂ»r, câest la bonne maniĂšre de se projeter dans un monde plus durables.
Question du public : les modÚles actuels de « conservation » sont-ils encore pertinents ?
Pierre : le modĂšle agricole encore dominant considĂ©rait quâon pouvait ĂȘtre indĂ©pendant du sol, avec les engrais et diverses techniques. Aujourdâhui, on dit quâil faut rĂ©-intĂ©grer lâagronomie, restaurer la biodiversitĂ© et lâĂ©quilibre chimique des sols. Cela permet de stocker du carbone, de lâeau, de dĂ©velopper le lien entre les arbres et les cultures, le rĂŽle de protection des haies ⊠câest le principe de lâagriculture de conservation.
Mais je me mĂ©fie aussi de certains labels dits dâengagement, qui ne le sont pas tant que ça.
Charles : sur la regradation des sols, il y a des mĂ©thodes de gestion qui permettent dâamĂ©liorer la qualitĂ© des sols. Je dis souvent la phrase dâun grand gestionnaire forestier du XIXĂšme siĂšcle : « Imiter la nature, hĂąter son oeuvre ». Il faut accĂ©lĂ©rer les phĂ©nomĂšnes naturels, par exemple avec un humus plus riche. On parlera ici de « sylviculture de conservation »
Question du public : que peuvent faire les collectivités par rapport au bois-énergie ?
Charles : câest Ă la mode, et il y a des biais. On a dĂ©passĂ© les seuils acceptables en bois Ă©nergie. La valorisation dâune partie des bois, bien gĂ©rĂ©s, en bois Ă©nergie, est une bonne idĂ©e. Mais ça ne fonctionne que si on utilise du bois local qui ne vient pas se substituer, en termes de qualitĂ© de bois, Ă dâautres produits.
En dâautres termes, si on produit uniquement du bois Ă©nergie, cela pose problĂšme. Le carbone, fixĂ© dans les arbres, sera entiĂšrement relĂąchĂ© en quelques minutes ! Il faut voir le sujet dans son ensemble, en termes de substitution de sources dâĂ©nergie.
Pierre : certaines dĂ©marches de certification comme FSC sont intĂ©ressantes quant Ă lâexploitation durable des forĂȘts. Chez nous, on sait que la haie peut ĂȘtre exploitĂ©e en bois Ă©nergie : on peut ici accompagner des collectifs dâagriculteurs pour aller dans cette direction.
Mot de la fin : changement de perspective
Pierre : nous avons une vision trĂšs occidentale de la nature. Philippe Descola avait montrĂ©, par exemple, que pour les Indiens dâAmazonie, cela nâa pas de sens : ils font partie de la nature !
Charles : nous faisons partie de la nature, du vivant. Pour rebondir sur lâanthropocĂšne, cette pĂ©riode gĂ©ologique oĂč lâaction de lâhomme est visible, on se rend compte quâon a tout intĂ©rĂȘt Ă prendre soin du systĂšme dont nous faisons partie.
La conversation avec données et vidéos
Les liens et éléments complémentaires
Pour aller plus loin sur le sujet :
- Les publications du CEN Auvergne, portant aussi bien sur les habitats que sur la biodiversité
- Le « talk » de Charles-Etienne Dupont au TEDxClermont 2016 intitulĂ© « Mon horizon, c’est le siĂšcle »
- L’entretien Ă©crit avec Charles-Etienne Dupont dans Tikographie (juin 2020) oĂč il dĂ©taille son approche d’accompagnement de la naturalitĂ©